Economiste, patron du Haut commissariat au plan (HCP) et l’un des artisans du gouvernement d’alternance en 1998, Ahmed Lahlimi cumule l’expertise technocratique et une longue histoire de militantisme politique. Aujourd’hui, l’institution qu’il dirige se prépare à mener le sixième recensement de l’histoire du pays, qui aura lieu du 1er au 20 septembre, dix ans après le dernier exercice du genre. Le HCP s’apprête également à révéler ses prévisions de croissance, un exercice rituel qui avait provoqué une brouille avec le gouvernement en janvier dernier. En effet, le ministre des Affaires générales, Mohamed El Ouafa, avait accusé Ahmed Lahlimi d’avancer des chiffres inférieurs aux prévisions de l’équipe Benkirane pour la décrédibiliser. Imperturbable, le Haut commissaire au plan laisse son travail parler pour lui.
Le HCP publiera fin juin ses prévisions de croissance. Seront-elles différentes de celles du début de l’année ?
Comme de coutume, nous tiendrons un point presse pour décliner les résultats de nos estimations pour l’année 2014 et nos prévisions économiques pour 2015. Nos prévisions du début de l’année (risque de pression inflationniste, baisse de la consommation des ménages, ndlr) ne connaîtront pas, à mon avis, de modifications substantielles. Précisément, l’impact des dispositions de la Loi de Finances et des mesures prises par le gouvernement ou attendues au cours de l’année sera sûrement pour quelque chose dans le prochain bilan prévisionnel.
Justement, ces prévisions sont différentes de celles du gouvernement…
Les seules prévisions de référence pour le gouvernement sont celles du HCP et des organisations internationales. Le gouvernement en retient ce qu’il s’engage à réaliser dans le cadre de son projet de Loi de Finances. Je dirai donc que le gouvernement se fixe des objectifs, tandis que le HCP et d’autres institutions internationales compétentes élaborent des prévisions.
Quels ajustements faut-il apporter à la gestion macroéconomique du royaume si l’on veut améliorer ces prévisions ?
Pour rétablir les équilibres fondamentaux de l’économie nationale, il faut tout d’abord maintenir l’investissement tout en l’orientant vers les projets à fort taux de rendement. Ensuite, maintenir une politique fiscale (incitations fiscales pour les entreprises et secteurs porteurs, ndlr) et monétaire (réformes bancaires, maîtrise des financements extérieurs, gestion active de la dette, ndlr). Par ailleurs, une meilleure répartition sociale du revenu national doit être opérée.
Les hausses récentes des prix risquent-elles de modifier la composition du panier de la ménagère ?
Notre dernière enquête sur la confiance des ménages a évidemment anticipé ces augmentations de prix. Pour en connaître l’impact sur le panier de la ménagère, il faudra cependant attendre les prochaines enquêtes sur la consommation des ménages.
La hausse des prix a toujours des conséquences sur les coûts de revient dans les entreprises. Cette variable est-elle prise en considération dans vos prévisions sur l’emploi et le chômage au Maroc ?
Les indicateurs sur l’emploi et le chômage, publiés trimestriellement par le HCP, ne procèdent pas de prévisions mais de l’Enquête nationale sur l’emploi. C’est une enquête permanente qui porte sur un échantillon de 60 000 ménages. Au niveau international, cette enquête est une référence qui renseigne sur l’emploi et le chômage au Maroc.
La dernière note du HCP révèle que le taux d’emploi des femmes au Maroc est boosté par le travail des filles de moins de 15 ans. Ce dernier étant en baisse, le taux d’emploi des femmes maintiendra-t-il sa chute en 2014 ?
Dire que la baisse de l’emploi féminin est due à la baisse de l’emploi des filles de 7 à 14 ans est en partie vrai. Encore faudrait-il préciser que cette diminution n’a concerné que les filles rurales. Toutefois, la baisse de l’emploi féminin est due, plus généralement, à la concordance de plusieurs autres facteurs. Les efforts de scolarisation depuis 1999 ont contribué à faire baisser l’emploi des jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans. Le taux d’emploi de cette catégorie d’âge a diminué de 10,7 points, alors que le taux d’emploi féminin global a baissé de 3,7 points. Par ailleurs, le ralentissement de l’évolution de la population féminine en âge d’activité et de celle en emploi a également joué. Le nombre de femmes actives occupées âgées de 15 ans et plus est passé de 2,52 à 2,84 millions entre 1999 et 2013, enregistrant un accroissement annuel moyen de 0,9%. La population en âge d’activité, quant à elle, a augmenté au cours de la même période de plus de 2%. Le taux d’emploi a donc connu une baisse de 3,7%, passant de 26,4 à 22,7%. Dans ce contexte, nous estimons au HCP que le taux d’emploi féminin global va poursuivre sa tendance baissière durant l’année 2014, tendance dans laquelle il s’inscrit depuis plusieurs années.
Quelles sont les nouveautés de l’édition 2014 du recensement général de la population et de l’habitat ?
Pour la première fois, un appel à candidatures a été lancé sur un site Internet dédié au recensement pour recruter des agents recenseurs, des contrôleurs et des superviseurs. Sur un effectif de 173 000, 73 000 candidats ont été retenus. Le questionnaire est presque le même que celui de 2004, reprenant tous les chapitres sur la démographie, les niveaux d’instruction, l’activité, etc. Il est enrichi, cependant, de nouvelles questions visant, notamment, à relever les cas de déficiences physiques et mentales, comme le recommande la Commission des statistiques des Nations Unies, et à mieux connaître les caractéristiques des logements, de leur équipement ménager ainsi que leur mode d’évacuation des eaux usées et d’éclairage, dans le souci d’amorcer une dimension écologique. De façon générale, le questionnaire devrait permettre de recueillir plus d’informations sur les conditions de vie de la population. La population légale sera connue dès la fin de l’année. L’exploitation exhaustive des autres aspects sera terminée environ six mois après.
Les résultats seront certainement remis en cause. Y êtes-vous préparé ?
L’intérêt du recensement est justement de permettre d’évaluer les performances des politiques publiques sur les dix dernières années dans les domaines du développement humain et du progrès social. S’il fallait remettre quelque chose en cause, ce ne devrait sûrement pas être les résultats du recensement mais les politiques publiques.
Profil 1939. Voit le jour à Marrakech 1963. Milite au sein de l’UNEM dont il est l’un des dirigeants 1983. Devient directeur du cabinet de Abderrahim Bouabid 1998. Est nommé ministre des Affaires générales 2003. Prend la direction du Haut commissariat au plan |